Il m’aura fallu quelques jours pour digérer, ou du moins être capable de raconter ce que j’ai vécu, ce que j’ai ressenti. Nous avons quitté, les enfants et moi, Kiev, précipitamment. La situation en Ukraine, vous la connaissez tous, elle a été largement suivie, commentée, disséquée par les médias français. Je reviendrai peut-être plus tard sur l’angle choisi par les médias, peut-être…
Difficile choix de quitter un pays si soudainement, difficile choix d’y laisser son mari, difficile aussi de vivre avec cette impression tenace d’avoir quitter le navire… mais pour la première fois, j’ai eu peur. Peur d’un hypothétique débordement, peur de ne pas être capable de protéger mes enfants.
La journée du mardi 18 février avait pourtant commencé comme les autres, Miss L. à l’école, Miss E. au cadik, et moi en cours de russe à Podol. Un mardi sur deux, je participe au « Bistro », un déjeuner de Françaises et ce mardi, nous avions rendez-vous à 13h au restaurant Terracotta situé au dernier étage de l’hôtel Premier Palace. Quand j’arrive, je ne remarque rien, quelques minutes plus tard, je vois une fumée noire du côté de Kréchiatik. Sans doute des pneus que les manifestants font brûler (ce n’était pas la première fois)… quelques minutes plus tard encore « regarde Maud, on dirait que c’est la Poste qui brûle, à côté de chez toi »… première boule d’angoisse, Miss L. va rentrer de l’école… je m’approche des fenêtres cela ne me paraît pas si loin de nous, plutôt proche de la Mairie…
Le déjeuner s’éternise, j’appelle ma voisine qui ne semble pas du tout inquiète, j’essaie de me calmer. Après le repas, je file vers le supermarché le plus proche faire quelques courses, il paraît que l’ambassade américaine a conseillé à ses ressortissants de faire des provisions pour 4 jours… en sortant du supermarché, ambiance lourde dans les rues, mais je ne comprends pas pourquoi à ce moment-là, je me précipite dans le métro… bizarrement les couloirs sont vides… en marchant je pense « dois-je rentrer à pied, si oui il faut que je fasse un grand détour pour éviter Maïdan, ou en métro, mais là encore, je ne peux pas m’arrêter à la station Maïdan ». Rapidement, je comprends que je n’ai pas le choix, tous les métros sont fermés, tout le monde est dans la rue et se presse.
En marchant, j’appelle Galina pour qu’elle aille d’urgence chercher Miss E. au Cadik. Il y a cette impression que quelque chose se prépare, mais finalement sans maîtrise de l’ukrainien, on ne comprend pas vraiment, des rumeurs courent… faut-il y croire ?
Le temps de rentrer chez moi… ouf, nous sommes toutes les 3 à la maison. Reste Mister Jo, toujours au bureau, qui me promet de rentrer tôt. Mais en fait, à ce moment-là en dehors du périmètre « barricadé », et en dehors du fait que les métros sont fermés, tout reste « normal ».
17h30 : mail de l’Ambassade de France, qui nous conseille de ne pas nous « rendre sur les zones où se déroulent actuellement les affrontements »
17h44 : mail de l’école française « Lycée Anne de Kiev fermé jusqu’à nouvel ordre… les enfants doivent rester à leur domicile et ne pas effectuer de sortie inutile »
20 heures, feu d’artifice tiré de Maïdan… qu’est-ce que ça veut dire ?
20h30, Mister Jo rentre enfin et me dit que tout est calme dans les rues.
Mais au loin, nous entendons très clairement les bruits de tirs… que dire aux enfants, quelques semaines plus tôt, sur les conseils d’Isabelle, je leur avais dit que des gens faisaient du tambour, mais là…
Mercredi 19 février matin, pas question de sortir de chez nous, sauf pour Mister Jo…
Mister Jo : Si tu le sens, appelle Air France pour voir si vous pouvez partir demain ou vendredi
J’appelle Air France. Il reste des places pour un départ le lendemain à 12h30, ma réservation est bloquée jusqu’au soir 22 heures. Le temps pour nous de voir comment la situation allait évoluer. Pas d’école, pas de nounou, et impossibilité de sortir prendre l’air, pourquoi finalement ne pas avancer de quelques jours notre retour en France. A ce moment-là, malgré le stress, je n’arrivais pas à imaginer qu’un départ anticipé était nécessaire. D’autant plus que mes copines habitants dans d’autres quartiers de la ville, continuaient à vivre normalement. En dehors de la zone « barricadée », les bus circulaient, les magasins, les restaurants, les salles de sport étaient ouverts.
Sans comprendre pourquoi, en milieu de matinée, je commence à faire les valises, à 13h30, j’appelle Mister Jo « les valises sont prêtes, j’ai peur, peut-être pouvons nous prendre l’avion de 17h30 ».
Voilà comment à 17h15, nous décollons de Kiev pour Paris en passant par Munich. Mais être dans l’avion sans Mister Jo…
Pour la première fois, j’ai eu peur parce que pour la première fois je n’arrivais pas à raisonner, pour la première fois, je me suis laisser envahir par les rumeurs et pour la première fois elles ont été plus fortes que moi.
Merci à mes copines de Kiev, qui nous ont proposées de nous héberger quelques temps loin de notre quartier, merci à celles qui m’ont conseillées et écoutées, merci à Aurore qui a répondu si gentiment à tous mes appels de détresse, merci à tous nos amis français pour leurs pensées.
Non, Laurent, ce ne sera pas la fin de ce blog. Kiev me manque, et je compte bien y retourner à la fin des vacances scolaires, le 10 mars !
Tu as eu raison.
Bisous
Alain