La veille de mon premier et bref retour en France, Mister Jo me dit qu’Anna, la DRH de son entreprise, viendra me chercher à la fin de mon cours de russe car j’ai rendez-vous à 13h30 à l’OVIR (Organization of Visas, Immigration and Registration) pour récupérer mon permis de séjour et surtout mon passeport ! A ce moment, je souffle, car sans passeport, impossible de quitter l’Ukraine et sans ce permis, impossible d’y revenir.
La voiture de la société nous mène alors au milieu de nulle part, et nous nous retrouvons dans une cours d’immeuble avec une vingtaine d’autres personnes. Anna semble à l’aise, elle est « responsable des étrangers » de sa société [il y a deux étrangers : Mister Jo et Peter, un écossais qui vit à Kiev depuis 20 ans] et demande où se trouve la queue pour récupérer le permis de séjour. Un homme lui dit d’inscrire mon nom sur la feuille de papier qu’il lui tend. Ce qu’elle fait, puis me dit « regardez, vous êtes la 10ème, cela va être rapide ».
Il fait froid ce jour-là. Au bout de quelques minutes à observer la scène, je commence à me poser des questions.
Moi : Anna, nous n’avions pas rendez-vous à 13h30 ?
Anna : Non, nous ne pouvons pas prendre rendez-vous, mais ne vous inquiétez pas, il y a deux queues : une _longue_ pour faire les demandes de permis de séjour et une _rapide_ pour les récupérer.
Moi : Et, il n’y a pas de salle d’attente à l’intérieur ? doit-on rester dans le froid ? comment faites-vous en hiver quand il fait -20°C ?
je ne comprends pas vraiment sa réponse… laisse couler (comportement que je commence à bien maîtriser ici) et regarde autour de moi. Soudain, quelque chose me frappe, la feuille de papier, sur laquelle mon nom est noté, n’a rien d’un papier officiel et la personne à qui appartient cette feuille de papier ne semble pas être une personne travaillant pour l’OVIR (puisqu’il parle avec des personnes qui semblent être de sa famille et qui, comme moi, attendent).
Moi : Anna, je ne comprends pas, mais cet homme ne travaille pas ici ?
Anna surprise par ma question : non, pourquoi ?
Puis, mon air ahuri semble la mettre sur la piste et elle comprend enfin le sens de toutes mes questions. Un petit cours d’histoire de la civilisation ukrainienne s’impose.
Anna : cela vient de l’époque soviétique. Nous, les Ukrainiens, avons l’habitude de faire la queue. Alors, nous avons appris à organiser la queue. Le premier qui arrive sur les lieux prend une feuille de papier et y inscrit son nom. C’est donc le premier, puis au fur et à mesure, nous inscrivons nos noms pour établir l’ordre de passage au guichet. Quand le bureau ouvrira, à 14 heures, l’homme donnera la feuille à l’employé de l’OVIR, qui nous appellera dans l’ordre de notre arrivée [pas con]. En Ukraine, il faut toujours avoir une feuille de papier sur soi, car si vous êtes le premier sur les lieux et que vous n’avez pas de feuille de papier, vous ne passerez pas en premier [merci pour le conseil]. Si nous sommes arrivées à 13h30, c’est pour être dans les premiers sur la liste.
Moi : Anna, rassurez moi, nous ne devons faire cette démarche qu’une seule fois ?
Anna : Non, tous les ans… tous les ans, vous devez refaire tous les papiers pour redemander un permis de séjour.
A ce moment, Anna marque une pause, puis sourit
Anna : Sauf si, comme je l’ai dit à votre mari et il semblait intéressé, votre prochain enfant naît en Ukraine. A ce moment-là, vous et votre mari aurez un permis de séjour… à vie !
Anna, cela fait beaucoup trop d’informations pour moi, là tout de suite… un enfant ? et vous voulez dire qu’il faudrait que j’accouche en Ukraine ?
14 heures, au fond de la cours, une porte s’ouvre, une haie d’honneur se forme pour laisser passer l’homme à la liste. Nous pouvons enfin entrer. L’employée de l’OVIR récupère la liste, va chercher nos dossiers, s’installe dans son petit bureau et commence à nous appeler.
Dans la salle d’attente, les retardataires, ou plutôt ceux qui ne savaient pas qu’il était préférable d’arriver en avance, commencent à être nombreux, quand :
Un vieil homme : Qui a une feuille de papier ?
Immédiatement, une dame en sort une de son sac, que nous faisons passer au vieil homme. Une nouvelle liste de noms se prépare…
C’est à moi, avec Anna, nous entrons dans le bureau. On m’explique que mes enfants seront sur mon permis de séjour. Jusqu’ici tout va bien [il fallait que je la place celle-là]. Mais malheureusement, j’ai oublié d’inscrire leur nom derrière leurs photos, et la dame n’a pas su qui est Miss L. et qui est Miss E [c’est vrai, que leurs dates de naissance n’étaient pas forcement un indice quant à leur physique]
La dame de l’OVIR : Allez-vous asseoir dans la salle d’attente, je terminerai votre dossier quand tout le monde sera passé !
Anna, à quoi cela a-t-il servi de venir à 13h30 ?
Plus tard dans l’après midi, Anna me demanda comment nous faisions en France pour organiser la queue. Bonne question !

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